samedi 31 août 2013

Entre deux

                                                             Entre-deux.

Je ne sais pourquoi, j’aime cet entre-deux, entre-deux moments, entre-deux saisons, quand l’été se prolonge, avec une fraîcheur qui, doucement, va l’expulser. Les géraniums sont bientôt à rentrer. On pourrait ainsi décliner le temps. Entre-deux. La seconde d’après, infiniment lointaine, que n’atteindra jamais la seconde d’avant. Entre-deux, un monde.

Ici, ce sont des rendez-vous, au rythme des secousses de la vie. Entre-deux, eux aussi, car ils espèrent tous un après. Et les murs où ils résonnent, s’imprègnent de ce qui est dit. Mémoire de la pierre. Moiteur de la pièce, toujours, en fin de journée. J’ouvre la fenêtre. C’est le soir. Avec le courant d’air, doucement, repartent les parfums fatigués. Ils se mêlent aux odeurs, à la sueur de la journée, aux tensions des uns et des autres aussi. C’est comme des présences qui s’attardent. Puis soudain, elles disent au-revoir. Elles s’absentent. Jusqu’à demain.

Certaines phrases sont tombées au coin de la fenêtre. Juste là où passe le chat dans la cour de l’immeuble. Il s’étire. Il fait tout ce qu’il faut pour attirer les caresses. Mais aussitôt que vous voulez le caresser, il s’éloigne. Un mètre plus loin. Pas plus. Et il joue. Et les phrases s’éparpillent sous ses pattes, elles se dispersent en de nouvelles, telles des lucioles à la queue-leu-leu. Oups ! Un coup de patte. Où donc est parti le «  je n’en peux plus ! » ? Deuxième coup de patte : P, L, U, S. Chacune de leur côté. P sous le pissenlit. L sous le lilas défraîchi. U, celui d’Ursule, vous savez ? L’uppercut du chat l’a envoyé se balader sous le U que forme le tuyau d’arrosage. S, où donc est-il parti ? Ah ! Le voilà dans l’ombre sombre des sanseveria. Et tous ont pris un coup de frais. L’exaspération s’est dissoute. Entre-deux, du vide, un monde.

Merci le chat ! Je comprends que tu ne veuilles pas te faire caresser. Tu ne veux pas te faire amadouer par les mots des humains. On dit que les chats aiment ceux qui écrivent. Tu leur envoies comme ça, du dessous de tes pattes de velours, des sifflantes, douces comme la soie, chaudes comme la laine, douces et chaudes comme le cachemire, pour s’envelopper dedans, s’y réchauffer, s’y protéger. De tes pattes griffues, ce sont des liquides vibrantes qui arrivent et ça gratte le fond de la gorge, comme une toile de jute mal assouplie.

Ah voilà les bruits de l’immeuble maintenant, les portes qui claquent, l’intimité glougloutante le long des tuyaux, la télé qui démarre. Ma voisine a quatre vingts ans passés. Nous parlons vite fait, entre-deux, avant que chacune ne referme sa porte. Vite fait, dans le couloir. Peu de mots, c’est vrai. Mais au fil du temps, cet entre-deux portes, c’est notre monde. Tout un monde. J’ai appris ainsi sa vie d’avant. Elle avoue même que cette promiscuité de bruits, la rend présente à la vie autour d’elle. Quand les autres appellent la gendarmerie, elle, se met à l’écoute. Les jeunes font la fête.  Elle écoute leur vie, leur musique. Mais elle dit bien au concierge, le matin, que cela la dérange. C’est vrai, ça vibre, dans les murs, surtout les basses. Oui, comme tout le monde, ça la dérange. Elle se plaint comme tout le monde, elle participe comme ça, au discours ambiant. C’est encore vivre que d’être dérangée. Au fond, me confie-t-elle, tout ce bruit, c’est la vie. D’ailleurs elle ne dort pas la nuit. Alors, elle se met à l’écoute. Entre-deux. Entre nuit et lumière.

Tout arrive par effluves, mots, bruits de vaisselle, musique, infos, pêle-mêle, tous affluent par la fenêtre ouverte.  Quand ce ne sont pas les odeurs de cuisine. C’est étrange comme ce sont les odeurs qui semblent les plus insupportables quand l’habitude n’est pas là. C’est comme l’odeur de l’autre, quand on ne peut plus le sentir.

C’est la rentrée. Ils n’arrêtent pas de le dire. Le soir, fenêtre ouverte, il y a encore un sursis. Avant que cela ne recommence. Entre-deux jours.

Ecrire le soir, dans l’ombre du dernier jour. Garder encore la légèreté de ces imperfections qui laissent la sensation d’une encre encore fraîche. Pétrir les mots sans qu’ils ne dévoilent trop leur fatigue, leur travail. Nouveaux destins de mots, de phrases, de virgules, dans des bulles, plein de bulles.

Ecrire encore un peu ce soir, entre-deux. Avec et encore des images plein la tête. Entre mots et images. Un monde.

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