vendredi 27 septembre 2013

Traduire ou l'advenue de la langue


Traduire ou l'advenue de la langue

Je ne parle pas le cambodgien. Elle m'a raconté longuement comment sa mère n'est revenue qu'il y a quatre ans, dans le village où elle a vécu sous le régime de Pol Pot. Trop d'horreurs l'avaient empêchée, jusqu'à présent, de penser même ce retour. Et elle, sa fille, elle qui n'a pas connu tout ça, me le raconte, la voix emportée par les affres de la mère. Un nom de ville. Une expression. Une injure. Des cris étouffés. Des mots, épars, en vrac.

Je lui ai demandé comment cela se disait en cambodgien. De me les traduire en cambodgien.
Elle m'a dit un mot que je n'ai bien sûr pas compris. Puis des phrases, puis d'autres encore et encore. Elle n'a plus cherché à traduire. Elle n'a plus cherché le mot juste, le plus adapté à ce qu'elle voulait dire. Je ne sais pas d'ailleurs si le cambodgien dirait de façon plus juste les horreurs dont elle voulait parler. 

Je n'ai rien compris. Je ne parle pas le cambodgien. Mais j'ai saisi dans son regard et le rythme de ses phrases que se levait une langue. Et avec elle, des mots comme paratonnerre, des mots comme pharmakon.



Ils sont pharmakon car ils ne mettent pas au silence. Ils n'ont pas forcément trouvé le mot juste. Oh non. Bien au contraire, ils continuent de se chercher, de se dire, et chemin faisant, ils relancent la vie. .Elle fronce les sourcils. Elle invective des absents. Elle sourit parfois. Des mots pas à traduire. Des mots qui sortent en direct. Des mots juste pour faire advenir quelque chose.
Des mots comme pharmakon de l'âme

1 commentaire: