dimanche 2 mars 2014

Histoires absurdes 2,3.

Histoire absurde 2.

Je me suis réveillée. 
Sur le pas de la porte, se tenait une petite fille. Je ne l'avais jamais vue. Elle lui ressemblait tant. J'ai pensé aux pelures d'oignons. Je lui ai demandé :
-Que fais-tu là ?
-Papa m'a envoyé chercher ses affaires.
-Quelles affaires ?
-Son chapeau. Il l’a oublié hier. Il a froid . Il veut son chapeau.
Tout son être transmettait la demande du père. Front plissé. Cheveux hérissés. Poings serrés. Toute pétrie de silence.
Nous avons regardé. Partout. Cherché. Sous la chaise. Derrière le fauteuil. Rien. Il y avait bien un chapeau de femme. Sophistiqué. Baroque. Irréel. Flottant. Sur une tête qui n'existait pas.




Mais non, bien sûr, ce n'était pas le sien. Il avait perdu une de ses pelures familières.  Il aurait pu la mettre sur la tête. Oui. Certainement. Ça l’aurait habillé, donné une certaine allure. Elégance. Signe de reconnaissance. Dans ce petit monde de chapeaux.

Quand je vous dis qu’on s’attache parfois aux pelures…



Histoire absurde 3

Je me suis réveillée doucement ce matin.  Des phrases m'arrivaient. Des images aussi. Toutes venues des rivages du rêve. Quelles pelures avais-je donc aujourd’hui ?

On m’avait dit que certains mots protégeaient du froid et de la faim. Ils permettaient par exemple de ne pas se retrouver à la rue. J'avais ainsi rêvé, une nuit que les mots pouvaient réchauffer le corps. J’ai pensé à la petite marchande d’allumettes. Si petite et grelottant sous ses pauvres vêtements. Nul ne la voyait sur son trottoir. Quels mots auraient pu la protéger ?
Rêve, réalité, intérieur, extérieur, penser, être. Certains mots se font pelures. Plus importantes que d'autres. Se repèrent leurs habitudes, leurs logiques, leurs contextes. On croit les ingérer, les digérer, les intégrer. Puis avec le temps. Quels destins ont-ils donc dans l'estomac ?

Je suis rentrée à l’intérieur du corps, pour mieux les observer. Suivre leur transit. Leur embarras. Ils travaillaient tout seul. Ils érodaient les cavités. Les parois s’affinaient. Les villosités se distendaient. Puis ils remontaient les cryptes du rêve. Ils creusaient des trous. Sculptaient des galeries. C’était des mots enkystés. J’avais peur en les voyant ainsi, qu’ils ne fassent saigner inutilement. Pulsion de  mort. Dérisoire, dérisoire. Inextirpable du vivant. Par endroits, ils étaient devenus intimité saprophyte. Qui vous ronge et pourtant vous sustente. Du dedans. Toujours. Sans cesse.

Après tout ce travail, certains mots avaient perdu leurs habitudes. Perdu leurs sens. Perdu la tête. Sans compter leurs vêtements, leurs chapeaux, leurs chaussures. L’un d’entre eux était en smoking. Je baissais les yeux et je voyais ses pieds nus. Et j’entendais : « Va-nu-pied ! ». Le mépris l’invectivait. Certains mots étaient devenus transparents. De l’intérieur, ils étaient en train de desquamer. C’était un épithélium qui doucement s’en allait. Cellules mortes. Inclassables figures du rêve. Plus de dedans ni de dehors. Les mots perdaient leur consistance. Penser, être, rêve, réalité…s'en allaient en déliquescence.

Est-ce cela digérer ? Ils devenaient particules. Elémentaires. Prêtes à être absorbés. Et à vouloir les comprendre, un jour l’on se réveille et il ne reste plus rien. Leurs sens, leurs sons, tout s’en est allé.

On m’avait pourtant dit que certains mots protégeaient du froid, de la faim. A tellement les fréquenter, et avoir cru si bien les digérer, ne restent maintenant dans la bouche, que leurs pelures . Fibres dures. Résidus. Copeaux devenus drus. Restés là. Incuisinables. Inabsorbables.


Et puis.

Une syllabe ancienne est venue. 
Une mélodie.
Claire. 
Vide.
Au seuil d’un nouveau destin.

On m’avait pourtant dit que certains mots protégeaient du froid, de la faim. Oui, peut-être certains…


« Et la pensée
continue de pleuvoir sans le monde,
continue de pleuvoir sans la pluie,
continue de pleuvoir. [1]»










[1] Roberto Juarros, Poésie verticale, IV, 20, trad M Broda


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