lundi 30 septembre 2013

L'art du déchagrin

C’est une île en plein océan. Loin de la côte. C’est une île sans pollution lumineuse. Où oublier ses ennuis. C'est une île où il est possible de ne goûter qu'à la clarté des étoiles, à la lune et aux planètes lointaines. On imaginerait leurs habitants. Sous une voûte peuplée où résonne la voix d'espaces inconnus. Et tout serait à refaire.

Elle voudrait tant trouver son chemin. Il y a des destins qui présentent seulement un accroc de départ. Et cela oriente toute une vie. Il semble infime. Quelques minutes. Et doucement bascule la vie.

Antiphon avait créé un art du déchagrin. Il disait qu’avec les mots, rien que les mots, il pouvait soigner ceux qui souffrent, les chagrinés, les affligés. On l’avait appelé aussi "l’hypocrite des rêves", le déchiffreur des rêves ( hupokritès), celui qui feint, celui qui répond, « à qui Sommeil accorda cet honneur .»

Il est 4 heures du matin. Elle avait rêvé. Elle me parle au matin, de son rêve. Un rêve étrange où il y avait une ambiance sombre, agitée, où les gens ne parlaient qu’une langue étrangère qu’elle ne comprenait pas. En le disant, en le racontant, antiphonaire de la nuit, les mots l’agitent. Poison ou remède ? Incompréhensible amertume ou douceur d’un sens familier ? Les mots sont pharmakon. Mais le pharmakon est aussi, nous dit un dictionnaire, une lessive, un réactif, un colorant. Les mots laveraient-ils l’âme, coloreraient-ils ses plis, feraient-ils réagir comme un catalyseur les phases du chemin de la vie ?

Elle était assise sur les marches du temple. Quelques siècles plus tard. Quelle importance ? La vie est toujours la même. D'autres êtres, par ici, circulent. Ils ont d’autres habitudes. Ici aussi, les mots colorent la vie. D’autres mots racontent le détachement, l’éphémérité, le fleuve du devenir. Peu importe si on mange du riz, dans des feuilles de bananier. Les chagrinés, les affligés, viennent toujours y chercher le sommeil de leurs douleurs. Un gong sonne. Ses notes semblent envelopper le désarroi comme dans une feuille de bananier fraîche. Les dernières dont elle se souvenait, poussaient, immenses, dans le jardin de sa mère. Au milieu d’elles, des régimes de banane, à la chair parfumée.

Les bonzes sont souriants. Une joie enfantine se lit sur leur visage. Ici, ils apprennent. Ici, ils ont de quoi manger. Ici, les familles les ont confiés à leurs aînés. Ici ou ailleurs. Chance de la vie. Apaisement.

Ephémérité du temps.

Une barque sur l’océan.

Incertaine.


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